19 février 2012

Pourquoi je ne veux plus être journaliste


Un journaliste de l’époque décrit ses conditions de travail et de carrière
« Ainsi donc, le journalisme, c'est le reportage et le reportage c'est une profession fermée — par le haut seulement car on y entre avec la plus grande facilité (…) Un fait significatif, c'est qu'il n'y a dans les salles de rédaction que des hommes de vingt à quarante ans, et même peu dépassent les trente-cinq ans ». Les reporters quittent leur métier pour une autre activité ou, s'ils travaillent dans un journal partisan, pour devenir fonctionnaires. D'autres végètent. Héroux en connaît un qui est devenu concierge de son ancien journal. « Le fait brutal, c'est que les reporters s'évadent tous de la profession. Les exceptions sont tellement rares que c'est le cas de dire qu'elles confirment la règle. Et la raison de cet état de chose est très simple : ni la valeur professionnelle — commerciale plutôt — du reporter, ni son traitement ne suivent une progression parallèle à ses obligations ». La biographie d'un reporter suit un itinéraire connu. Un jeune homme sort du collège, plein d'ardeur. Il écrit facilement ; il devient reporter. Il atteint rapidement le traitement le plus élevé auquel il ait droit, « et celui-ci n'est pas très élevé ». Au départ, ses faibles émoluments ne l'inquiètent guère. Il vit seul, ne ressent guère le besoin d'économiser. Puis, il se marie ; les enfants naissent. Les besoins croissent ; mais son rendement et son traitement stagnent. Son métier exige plus d'endurance physique que d'étude. Or, désormais, « il lui répugne de passer la journée à courir par la ville et ses soirées hors de chez lui, il n'a plus la force de travailler deux ou trois jours presque sans désemparer. Bref, au point de vue du patron, il est inférieur à ce qu'il était cinq ou six ans plus tôt, à ce qu'est le quasi débutant qui se contente d'un salaire peu élevé ». Héroux conclut donc avec lucidité : « Le reportage est un métier de jeunes gens ; c'est une situation temporaire qui peut offrir certains avantages, mais qui ne constitue point une position stable et définitive (…) à l'heure actuelle, il faut le dire nettement, le journalisme n'est pas une carrière ».
Source : La Vérité, 19 août 1905.
Et c'est encore ainsi aujourd'hui, à peu de choses près. Davantage de femmes, mais un salaire tout aussi crève-la-faim (pour ceux qui ne sont pas demeurés à l'état de pigiste).

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