11 décembre 2008

Dénivellation

Lydia repose sous un drap de satin blanc, linceul mal approprié pour une petite pute de quartier. Violée trois fois, elle avait finalement succombé aux coups de couteau succédant aux coups de boutoir de son bourreau. Mais ce n’était pas sa faute. Non. C’était la société qui l’avait conduite à cette fin horrible, tel un déraillement de train. Implacable, écrasant tout sur son passage.
« Lydia… Je ne sais… comment te dire… »
Le murmure est désincarné, hésitant.
« Tu n’es qu’une salope mais… malheureusement pour moi, je ne peux me passer de toi. »
La voix provient de la salle de bains. Cal était entrée et avait découvert le corps, ayant à peine le temps de recouvrir la défunte de son suaire improvisé avant de se précipiter pour vomir tout ce qu’elle avait dans les tripes. Ce qui flotte à présent dans la cuvette rappelle vaguement du goudron, du genre que l’on étend sur les bardeaux des toits…
Elle a rendu tout ce qu’elle a, et maintenant que son corps en a terminé, des spasmes la parcourent toujours, mais plus rien ne sort. Cal enlace la cuvette, comme une amante sa conquête. Ou une junkie son fix quotidien, tout dépendamment du point de vue.
Tout en empêchant ses cheveux roux de tomber dans l’eau trouble, Cal se souvient de la dernière fois où elles se sont disputées, malgré sa tentative d’aborder les choses avec tact.
« - Écoute. Je sais que tu as besoin d’argent, mais tu te ruines la santé. Pourquoi n’essaies-tu pas de te trouver un boulot normal?
- Quoi ? Comme toi? Vendre de la drogue à des gamins et allumer des mecs pour leur faire les poches ensuite? Tu crois que c’est mieux?
- Non. Bien sûr que non… »
Elle s’est tue ensuite, perte de mot intégrale. Sachant exactement quoi dire, mais ne pouvant pas. Par peur de se faire mal.
Le mot « amour » n’est pas le mot approprié, mais c’est le premier qui vient à l’esprit.
De toute façon, Cal n’en pouvait plus de cette non-relation.
Trouvant enfin le courage qui lui manquait, elle se lève et vacille vers le tissu imprégné de sang, où elle s’agenouille. Elle sent les yeux de poisson mort de la prostituée qui semblent la fixer à travers le drap. Jugeant à son tour. Les mots, martelés, dans la tête de Cal.
« Tu as profité de moi. Comme les autres… »
Oui. Cal l’a fait, et elle aurait probablement continué aussi. Car c’était bon de se sentir privilégiée face aux autres, à ces corps sans visage et sans nom se succédant au-dessus de la brèche de Lydia. En l’utilisant, Cal avait l’impression d’être meilleure…
C’était une belle illusion.
L’important, c’était que les deux femmes se complaisaient dans le malheur de l’autre. Elles pouvaient oublier, pour un soir, la vie insipide à laquelle elles étaient devenues dépendantes.
Cal se relève, et se dirige vers la porte. Elle se retourne brièvement, contemplant la forme de son amante, qui semble attendre qu’on vienne la délivrer de sa gangue de saleté.
Tout compte fait, la mort de Lydia est un fait divers comme un autre. La seule différence demeure dans l’odeur de son sexe imprégnant toujours les draps, et la bouche de Cal.