Un journaliste de l’époque décrit ses conditions de travail et de carrière
«
Ainsi donc, le journalisme, c'est le reportage et le reportage c'est
une profession fermée — par le haut seulement car on y entre avec la
plus grande facilité (…) Un fait significatif, c'est qu'il n'y a dans
les salles de rédaction que des hommes de vingt à quarante ans, et même
peu dépassent les trente-cinq ans ». Les reporters quittent leur
métier pour une autre activité ou, s'ils travaillent dans un journal
partisan, pour devenir fonctionnaires. D'autres végètent. Héroux en
connaît un qui est devenu concierge de son ancien journal. « Le fait
brutal, c'est que les reporters s'évadent tous de la profession. Les
exceptions sont tellement rares que c'est le cas de dire qu'elles
confirment la règle. Et la raison de cet état de chose est très
simple : ni la valeur professionnelle — commerciale plutôt — du
reporter, ni son traitement ne suivent une progression parallèle à ses
obligations ». La biographie d'un reporter suit un itinéraire connu. Un
jeune homme sort du collège, plein d'ardeur. Il écrit facilement ; il
devient reporter. Il atteint rapidement le traitement le plus élevé
auquel il ait droit, « et celui-ci n'est pas très élevé ». Au départ,
ses faibles émoluments ne l'inquiètent guère. Il vit seul, ne ressent
guère le besoin d'économiser. Puis, il se marie ; les enfants naissent.
Les besoins croissent ; mais son rendement et son traitement stagnent.
Son métier exige plus d'endurance physique que d'étude. Or, désormais,
« il lui répugne de passer la journée à courir par la ville et ses
soirées hors de chez lui, il n'a plus la force de travailler deux ou
trois jours presque sans désemparer. Bref, au point de vue du patron,
il est inférieur à ce qu'il était cinq ou six ans plus tôt, à ce qu'est
le quasi débutant qui se contente d'un salaire peu élevé ». Héroux
conclut donc avec lucidité : « Le reportage est un métier de jeunes
gens ; c'est une situation temporaire qui peut offrir certains
avantages, mais qui ne constitue point une position stable et
définitive (…) à l'heure actuelle, il faut le dire nettement, le
journalisme n'est pas une carrière ».
Source : La Vérité, 19 août 1905.
Et
c'est encore ainsi aujourd'hui, à peu de choses près. Davantage de
femmes, mais un salaire tout aussi crève-la-faim (pour ceux qui ne sont
pas demeurés à l'état de pigiste).
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